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BON VOYAGE (critique)

Dernière mise à jour : 25 oct. 2021

Pure merveille de rythme et de romanesque, ce grand film d'espionnage et d'aventures méconnu est à redécouvrir d'urgence !

Après s’être retrouvé en prison en voulant aider une célèbre amie actrice, l’écrivain Frédéric Auger se rend à Bordeaux pour la retrouver mais la situation est explosive car nous sommes en juin 1940 et les Allemands ont envahi Paris.

Il est de ces films qui sont de pures merveilles et qui le demeurent même avec le passage du temps. Bon Voyage (2003) est de ceux-là. Avec ses scénaristes Gilles Marchand, Julien Rappeneau, Jérôme Tonnerre et l’écrivain Patrick Modiano, Jean-Paul Rappeneau a concocté un film historique magique qui mélange brillamment comédie, espionnage, romance et aventure.

Nous sommes en plein exode durant la Seconde Guerre Mondiale (les Français fuient massivement dans le Sud du pays après l’invasion de Paris par les Allemands), et plusieurs intrigues se nouent pour n’en former qu’une à un rythme effréné. En effet, après 15 minutes d’introduction nécessaire, le rythme du film s’emballe et se maintient jusqu’à sa dernière scène. Phénomène rare, d’autant plus que l’intrigue se déroule en très peu de temps (en grande partie sur un à deux jours à Bordeaux). Dans cette période trouble, les personnages se retrouvent en pleine course contre la montre et sont en constante fuite en avant, à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose ou cherchant à s’échapper (ils courent littéralement d’un bout à l’autre de la ville). Récurrence dans son œuvre, Rappeneau aime quand ses personnages sont confrontés à des circonstances exceptionnelles durant lesquelles ils doivent faire des choix et sont constamment en mouvement (à l’instar de sa mise en scène qui utilise de nombreux plans en travelling). Comme d’habitude chez lui, un grand soin est apporté aux décors et aux costumes : on assiste notamment à des scènes de foule dantesques à Bordeaux. La photographie de Thierry Arbogast est également magnifique, et joue sur les contrastes entre ombres et lumières pour créer un climat de suspense.

Niveau interprétation, le casting est royal : Grégori Derangère, Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen, Yvan Attal, Gérard Depardieu et l’Américain Peter Coyote. Depardieu et Adjani ont d’ailleurs des rôles étonnants : lui, très sobre, et elle au contraire surjouant pour mieux dessiner son personnage d’actrice compliquée. Yvan Attal tire également son épingle du jeu. Tous interprètent magnifiquement leurs partitions (avec de très bons dialogues) et en particulier Derangère qui passe de la gravité à la comédie (notamment physique) avec une aisance folle. Les petits rôles sont aussi parfaits (mentions spéciales à Nicolas Vaude et à Michel Vuillermoz).

Par ailleurs, le film est aussi un hommage au 7e art : il commence et se termine dans une salle de cinéma où un film en noir et blanc avec Viviane Denvers (Adjani) est projeté, mise en abyme malicieuse qui finit par réunir cinéma et réalité, que ce soit la salle, les spectateurs et l’écran dans un même plan, et avec le carton « Fin ». On perçoit aussi plusieurs influences d’autres cinéastes. Rappeneau mentionne par exemple celle de Fritz Lang (notamment le film Espions sur la tamise (1944)), mais on sent également l’inspiration d’Ernst Lubitsch, et spécifiquement de son To be or not to be (1942), film d’aventure et comédie d’espionnage dans le milieu du théâtre qui, de par son rythme et sa période historique (en 1939 en Pologne suite à l’invasion des Allemands), se rapprochent de Bon Voyage. De plus, on peut aussi remarquer l’influence d’Hitchcock (que ce soit avec Les 39 marches (1935) ou Cinquième colonne (1942)), en particulier avec les bonbonnes d’eau lourde que l’on peut considérer comme un MacGuffin (et aussi une référence aux Enchaînés (1946)). Enfin, Hitchcock a réalisé en 1944 un court-métrage produit par le Ministère de l’information britannique dans le but de soutenir la résistance française qui s’appelait… Bon Voyage !

En termes de récompenses, ce film-tourbillon fut couronné par 3 César (sur 11 nominations) dont Meilleur Espoir Masculin pour l’incroyable Grégori Derangère, Meilleure photographie pour Thierry Arbogast (déjà chef opérateur sur Le Hussard sur le toit, film précédent de Rappeneau) et Meilleurs décors pour Jacques Rouxel (qui avait aussi déjà travaillé sur Le Hussard et sur Cyrano de Bergerac de Rappeneau) et Catherine Leterrier.

Sur une musique sublime de Gabriel Yared, le spectateur est entraîné dans une intrigue complexe (3 histoires (policière, scientifique et d’espionnage) en une dans laquelle on ne se perd jamais) qui aborde des thèmes graves sur un ton léger et avec un charme romanesque fou. Le maître du rythme et de l’élégance, le « métronome en scène » comme on pourrait l’appeler, n’a rien perdu de sa verve (7e film en 37 ans !) et c’est un enchantement qu’il nous offre !

Ce film, qu’on pourrait qualifier d’autoroute du rythme, aurait dû être un grand succès populaire mais, avec à peine 800 000 entrées, ce fut malheureusement un échec public immérité et injuste… Raison de plus pour embarquer et partir en Bon Voyage !


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